On a tous vu passer ce chiffre magique, répété partout, dans nos applis de sport comme dans les pubs de montres connectées : mythe des 10 000 pas par jour. Il sonne bien, il rassure. On le suit presque religieusement. Puis arrive Christian Daulouède, ancien médecin du sport à Bordeaux, qui renverse la table avec un sourire malicieux. Selon lui, ce nombre n’a jamais été la clé d’une bonne santé physique. Il faudrait regarder ailleurs, ou plutôt marcher autrement.
D’où vient ce mythe des 10 000 pas par jour ?
Pas d’un congrès médical prestigieux, mais d’une campagne marketing japonaise des années 60. Des fabricants de podomètres cherchaient un argument vendeur. Ils ont fixé la barre à 10 000 pas, un chiffre rond, facile à retenir. L’OMS a fini par reprendre la formule, et les géants de la tech ont fait le reste. Daulouède en rit encore.
Marcher dix mille pas, c’est environ une heure et demie de marche, sept kilomètres à la louche. Mais ce n’est pas le nombre qui compte, dit-il, c’est la manière. Dix mille pas à traîner les pieds sur un trottoir ne valent pas dix mille pas avalés à vive allure sur une pente basque. L’effort n’est pas le même, le cœur non plus.
Des études récentes confirment son propos : pour avoir un impact mesurable sur le cholestérol, la glycémie ou la tension artérielle, il faudrait grimper plutôt vers quinze mille pas soutenus. Et encore, en fractionnant ou en variant les rythmes. C’est tout sauf la balade du dimanche. Derrière le mythe des 10 000 pas par jour, il y a surtout un joli coup commercial, pas une vérité médicale gravée dans le marbre.
Marcher oui, mais pas n’importe comment
Christian Daulouède ne jette pas la marche à la poubelle, loin de là. Il adore l’idée de marcher pour se vider la tête, retrouver un souffle intérieur. Il cite Nietzsche et Kierkegaard, tous deux convaincus que les meilleures pensées naissent en mouvement. « Les gens qui marchent sont souvent plus malins », lâche-t-il en riant. Mais pour le corps, le mythe des 10 000 pas par jour n’est pas la potion magique qu’on imagine.
Il propose une autre approche : marcher comme un chasseur. Pas question de flâner, mais d’accélérer, de varier le terrain, de sentir le cœur s’emballer puis redescendre. Le rythme doit forcer un peu la respiration, faire transpirer. C’est là que le métabolisme s’active vraiment, que le cholestérol chute, que le cœur se renforce. Ceux qui ne peuvent pas s’offrir quinze mille pas d’un coup peuvent fractionner. Dix minutes le matin, vingt à midi, trente le soir : tant que ça fait monter le cardio, le bénéfice est là.
La marche rapide agit aussi sur des pathologies lourdes. Elle freine les symptômes de l’Alzheimer, nourrit les cartilages fragiles grâce au liquide synovial stimulé par le mouvement. Et contrairement aux idées reçues, les personnes souffrant d’arthrose ont tout intérêt à marcher vite plutôt qu’à ralentir. Le corps aime l’effort mesuré, mais régulier. Quant à la marche nordique avec ses bâtons, très en vogue chez les seniors, Daulouède la juge sans avantage réel supplémentaire. Une autre légende moderne à ranger aux côtés du mythe des 10 000 pas par jour.
Et maintenant, on fait quoi ?
Pas besoin de jeter sa montre connectée, mais il faut changer de regard. Le nombre de pas n’est pas une fin en soi. Ce qui compte, c’est la dynamique. Monter une côte, sentir le cœur battre un peu plus fort, respirer profondément. On brûle plus de calories en vingt minutes de marche rapide qu’en une heure de flânerie molle. Et l’effet se prolonge la nuit : le corps continue à dépenser de l’énergie même au repos.
Ce n’est pas une mauvaise nouvelle. Marcher reste une activité simple, gratuite, accessible presque partout. Elle fait du bien au moral, apaise les tensions mentales, libère l’esprit. Elle n’est pas une baguette magique pour le corps si l’on reste collé au mythe des 10 000 pas par jour, mais elle devient redoutablement efficace si on y met du rythme et de la variété. Le chiffre rassure, mais le mouvement transforme.