On en voit partout, mais à quoi servent vraiment les rangées d’arbres qui bordent les routes ?

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On les croise sans y penser, et pourtant ces arbres alignés le long des routes cachent un rôle bien plus essentiel qu’on croit.

Ils filent comme une ombre en bordure des routes, immobiles, discrètes, presque oubliées. Et pourtant, ces rangées d’arbres sur le long des routes racontent des siècles d’histoire. Ce n’est pas un hasard s’ils sont là. Leur présence répond à des logiques précises, parfois oubliées, souvent insoupçonnées. Ce ne sont pas juste des arbres : ce sont des témoins vivants de notre passé, de nos guerres, de nos voyages et de nos villes en mouvement.

Une histoire de stratégie et de pas cadencés

Tout a commencé bien avant les moteurs et les pare-chocs. Henri II avait déjà vu juste : planter des arbres, oui, mais pas pour faire joli. À l’époque, les arbres d’alignement empêchaient les paysans de mordre sur la voie publique. Ils servaient aussi à fournir un bois solide, parfait pour les affûts de canon et la construction navale. Des troncs droits, hauts, résistants. De la pratique avant tout.

Puis Napoléon est arrivé. Ses soldats marchaient, longtemps, souvent, en plein soleil. L’empereur voulait des routes bordées de feuillage, une protection naturelle pour ses troupes. Il a fait planter des platanes tout le long du canal du Midi. Peu chers, costauds, et généreux en ombre. Les premières grandes rangées d’arbres sur le long des routes telles qu’on les connaît aujourd’hui sont nées là, au rythme militaire.

Au XIXᵉ siècle, on en retrouve jusque dans les colonies. À Madagascar, au Togo, en Inde… Ces arbres deviennent des éléments de paysage urbain. Ils s’installent sur les boulevards, eux-mêmes conçus sur d’anciens remparts devenus inutiles. Ils sont là pour structurer, rafraîchir, marquer les territoires. Eucalyptus, manguiers, faux poivriers odorants : chaque endroit choisit son essence. Et chaque essence raconte un lieu, une époque.

Des repères pour les vivants, des mémoriaux pour les absents

Pendant la Première Guerre mondiale, les arbres d’alignement prennent une autre dimension. Trois millions d’arbres sont plantés aux abords des routes françaises. Ces arbres servent de repères aux soldats, pour se déplacer, positionner les canons, orienter les lignes. Mais les combats, les bombardements et les tanks ont vite raison d’eux. Des milliers sont détruits. Et avec eux, des hommes.

Un officier britannique, Gillespie, imagine une idée folle : une immense allée d’arbres, plantés en mémoire des soldats tombés. De l’Est jusqu’à la mer. Le projet ne voit pas le jour. Mais il inspire. Des arbres sont plantés à Vimy, en Australie, au Canada, en Nouvelle-Zélande. Un arbre = un soldat. Une idée forte, simple, belle et durable.

Aujourd’hui encore, dans certaines régions, ces rangées d’arbres sur le long des routes gardent cette aura de mémoire silencieuse. Elles nous rappellent que les routes n’ont pas toujours été des lignes de vitesse, mais aussi des chemins d’hommes.

Des ombres qui protègent… ou qui tuent

Tout n’est pas romantique, pourtant. Après 1945, le vent tourne. L’automobile impose ses lois. On élargit les routes, on les redresse, et beaucoup d’alignements disparaissent. Dans les années 1970, ces géants deviennent même des ennemis publics. Trop proches de la chaussée, ils transforment une sortie de route en drame. Encore aujourd’hui, les statistiques font froid dans le dos : des centaines de vies perdues chaque année après un choc contre un tronc. En 2022, 273 conducteurs sont morts après avoir percuté un arbre en bord de route. Un chiffre lourd. Trop lourd pour être ignoré. Sur les départementales, un coup de volant suffit. Et l’arbre ne bouge pas.

Les platanes d’aujourd’hui sont hybrides : un mélange entre ceux d’Amérique et de Turquie. Ils poussent vite, tiennent bien la route, résistent aux maladies. Mais leur nombre diminue. L’étalement urbain grignote les bas-côtés. Les voitures veulent plus d’espace. L’arbre, lui, gêne.

Pourtant, malgré les dangers, il reste une beauté singulière dans ces rangées d’arbres sur le long des routes. Les voir s’étirer à perte de vue, c’est sentir le poids des siècles, l’ombre des soldats, le souffle des villes anciennes. Ce sont des repères, des témoins, parfois des menaces, mais toujours des marques indélébiles dans le paysage français. Les arbres d’alignement ne sont pas là par hasard, et ceux qui subsistent rappellent que nos routes sont bien plus qu’un simple ruban de bitume.

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